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Tisser l’avenir, habiller le corps : Un écosystème du vêtement

Stéphanie Couderc
© Hélène Bozzi

Cette exposition dédiée à la durabilité dans l’habillement offre une plongée fascinante dans l’incommensurable univers du textile. Chaque fil devient une note mélodieuse dans la symphonie du vêtement, orchestrée par une sélection soigneuse d’une vingtaine de designers, artisans et artistes. “Tisser l’avenir, habiller le corps,” présentée au JAD (Jardin de Métiers d’Art et du Design) à Sèvres du 17 janvier au 21 avril 2024, sous la direction de Pascal Gautrand, expert textile et fondateur de Made in Town, transcende les frontières du temps pour tisser une histoire envoûtante, où la création textile rencontre l’innovation responsable.

Un minimum de sobriété

Les premières notes de ce chapitre résonnent comme une sonate minimaliste. Le travail de Geneviève Sevin-Doering, initié dès les années 1960, se concentre sur une règle simple : concevoir des vêtements taillés en une seule pièce, en rupture avec le système occidental classique de construction des patronnages centré sur l’assemblage de multiples éléments. Dans cette lignée, Stéphanie Coudert décline un principe similaire pour sculpter une nouvelle fluidité autour du corps en minimisant le nombre de coutures. Consommer moins mais mieux : au fil des années, l’artiste Marie-Ange Guilleminot poursuit sa quête de la garde-robe idéale en revisitant des vêtements intemporels où le geste et l’usage s’inscrivent dans le temps et remplacent la notion éphémère de tendance. De son côté, Jeanne Vicérial présente une technique innovante de tricotissage qui permet la construction programmée de vêtements à partir d’un seul fil et minimise l’emploi de matière. Les vêtements conçus par ces créateurs visionnaires évoquent une élégance dépouillée qui sous-tend une rébellion contre la frénésie consumériste. Chaque pièce devient une partition dédiée à la durabilité, rappelant que l’essentiel peut être aussi somptueux que l’extravagant.

Tricotisser de Jeanne Vicérial Festival Sacre ArtAvecAmour
© Daniel Nicolaevsky Maria

L’emploi du réemploi

Dans ce chapitre, le réemploi devient une poésie visuelle. Des pièces vestimentaires ressuscitent à partir du passé, transformant des matériaux oubliés en œuvres d’art contemporaines. Présent sur les podiums de la Fashion week de Paris dès la fin des années 1990 grâce à des créateurs comme Daniel Jasiak, le réemploi textile devient petit à petit moteur de certaines démarches de conception vestimentaires, notamment au travers de la réhabilitation de pratiques comme le patchwork ou le boro, technique ancestrale japonaise, dérivée du japonais “boroboro” qui signifie « en lambeaux ou rapiécé ». Les démarches streetwear d’Andrea Crews ou d’Aalto proposent des collections qui intègrent des vêtements issus des fripes ou de stocks d’invendus, réutilisés, recoupés, transformés, recomposés, pour leur offrir une seconde vie. À l’instar de la marque 1083, qui propose dans ses collections une ligne de pulls “Volontaire,” en partenariat avec la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, régénérés à partir des pulls usagés portés par les pompiers français et transformés avec les savoir-faire de la Filature du Parc et de la manufacture de tricotage Regain, de nouvelles filières de transformations, souvent tracées, se construisent et offrent de nouvelles possibilités de tisser des ponts entre le passé et le présent, célébrant l’ingéniosité humaine et l’art de faire durer la matière. Tandis que la designer textile Aurélia Leblanc détisse des jeans pour réemployer les fils décolorés dans ses tissages jacquard, les pièces brodées par Anaïs Beaulieu subliment les matériaux les plus modestes et les élèvent au rang de pièces luxueuses grâce aux savoir-faire exceptionnels qu’elles mettent en œuvre.

Retour à la Naturalité

La clôture de cette épopée textile résonne comme un hymne à la nature. Des fibres naturelles — lin européen, coton, laine française — et teintures à base de plantes tissent une toile d’harmonie. Chaque pièce devient une ode à la biodégradabilité, une célébration des traditions respectueuses de la Terre. Le Groupe Depestele raconte les origines de la production du lin européen dont Daniel Jasiak met en lumière la versatilité au travers d’une robe patchwork inédite qui mélange tissages et jerseys de lin. Le Passe-Trame, Marelha et Maison Izard de leur côté démontrent les multiples possibilités de créer de nouvelles étoffes en s’appuyant sur l’usage des laines de tontes françaises générées par des élevages ovins principalement dédiés à la production agroalimentaire mais dont les toisons peuvent tout de même trouver usage dans la fabrication textile. 1083 fait ici encore preuve d’ingéniosité en allant chercher dans nos armoires les jeans que l’on ne porte plus afin de produire de nouveaux fils bleus qui concourent à la production d’un denim 100% français en les tramant avec du coton vierge écru cultivé dans le Gers. Enfin, Sandrine Rozier et Aurore Thibout se plongent dans les pratiques ancestrales de la teinture naturelle pour leur réinventer un futur, démocratiser leur usage, avec pour laboratoire la production de costumes de scène. Ici, chaque couture devient un poème, écrivant l’avenir dans des teintes durables et écoresponsables.

“Tisser l’avenir, habiller le corps” n’est pas simplement une exposition, mais une invitation à explorer les trésors cachés de l’âme textile, où chaque vêtement devient le récit vivant d’une filière, d’une chaîne interdépendante de savoir-faire variés. Chaque fibre, chaque fil, chaque étoffe, chaque couture, chaque création est une lettre d’amour au vêtement, évoquant un passé riche, un présent vibrant et un futur prometteur. Venez, laissez-vous envelopper par la magie des fils entrelacés qui transcendent la conception vestimentaire pour tisser un futur plus responsable aux sociétés qui les consomment.