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Le tissage est un art
Charlotte von Poehl
Made in Town Éditions

Charlotte Van Poehl

Marquées par l’histoire du design et l’art minimal, les œuvres de Charlotte von Poehl oscillent entre l’art et la vie, le fonctionnel et l’esthétique, en questionnant l’espace, la lumière, l’architecture des lieux. L’œuvre créée en collaboration avec l’atelier Woven Studio pour l’exposition Patchworks au Skissernas Museum témoigne avec éloquence l’ouverture de sa pratique vers d’autres champs de la création.

Jouant sur l’alternance aléatoire de cinq couleurs sur une grille, la série Harlequin décline des nuanciers qui évoquent tour à tour – selon l’imaginaire de chacun – le design nordique des années 60, la mousse des forêts d’automne, les costumes de théâtre… 
La répétition de touches de couleur de manière mécanique, systématique, laisse la possibilité de variations aléatoires, comme dans une partition qui autorise l’interprétation. Ici le temps, le rythme, se donnent à lire à travers les touches de peinture alternées.

L’artiste souhaitait depuis longtemps décliner cette série dans une autre technique. Le dialogue amorcé il y a plusieurs années avec Made in Town, galerie et plateforme de valorisation des savoir-faire, a permis de concrétiser ce projet par la rencontre de Woven Studio, atelier de tissage artisanal londonien fondé par Laura Miles en 1997. Dans la plus grande tradition anglaise, Woven Studio réinterprète le tissage de fibres nobles dans une grande diversité de matières et de coloris, pour créer des assemblages complexes et atypiques.

Charlotte von Poehl a elle-même enseigné le design par le passé, elle maîtrise parfaitement ses codes et ses périodes. Comme une rengaine, la question de l’ornement traverse ses œuvres de manière discrète et subtile. Intéressée tant par les techniques industrielles que par l’artisanat, l’artiste mène depuis plusieurs années des recherches poussées sur les matériaux. On ne s’étonnera donc pas de la réussite de sa collaboration avec Woven Studio.

Par l’intermédiaire de Made in Town, Charlotte von Poehl rencontre Laura Miles dans son atelier d’Islington en septembre 2016. Ayant vécu à Londres lors de ses études au Goldsmith College of Arts, Charlotte von Poehl se sent immédiatement à l’aise dans l’atelier londonien de Woven Studio, élégamment agencé autour d’un petit métier à tisser manuel et de nombreux échantillons de tissus et tissages. Plusieurs échanges et réflexions partagées autour du travail de l’artiste, du projet de l’exposition, des techniques de tissage et du concept de l’œuvre elle-même permettront d’affiner ce projet, fruit d’un véritable dialogue entre l’artiste et l’artisan.

Charlotte von Poehl, Harlequin, 2017, Jacquard tissé produit en collaboration avec Woven Studio Production : Made in Town Éditions, Photo : Terje Östling

C’est finalement sur un métier jacquard que sera réalisée l’œuvre, sa dimension industrielle permettant de produire un tissage de 130 x 250 cm. Après avoir scanné les dessins de Charlotte von Poehl, Laura Miles lui enverra une sélection d’échantillons afin d’affiner le choix de la technique. Cette dernière aura carte blanche pour choisir l’agencement des couleurs et la taille du damier, témoignant d’une coopération en totale confiance.

D’ailleurs, Charlotte von Poehl appréciera beaucoup la trame volontairement irrégulière du tissage final, ainsi que la finesse du travail de coloriste réalisé par Laura Miles. Les irrégularités de trames ne sont pas sans rappeler la malléabilité de la technique initiale de von Poehl dans cette série où l’aquarelle “déborde” parfois de case en case. A partir de la technique industrielle du jacquard, Laura Miles aura réussi à réintroduire la dimension aléatoire et irrégulière chère à l’artiste.

Le résultat est une œuvre à part dans le travail de Charlotte von Poehl, présentée pour la première fois à l’occasion de son exposition personnelle Patchworks au Skissernas Museum en 2017. Sa dimension physique, lourde, confère à cette nouvelle production de Harlequin une matérialité inédite dans son travail. Monumentale, l’œuvre se prête parfaitement à un accrochage muséal. La plupart des œuvres de von Poehl sont ainsi conçues pour un espace spécifique, une lumière, une circulation donnée. Même si elles peuvent être déplacées, le contexte de l’œuvre est primordial à son bon fonctionnement.
 L’œuvre imaginée pour le Skissernas Museum est conçue dès le départ pour un espace très particulier de l’exposition, une cimaise qui accueille le visiteur dès son arrivée.

Cette nouvelle production dialogue avec les œuvres de l’exposition Patchworks, mais aussi avec la collection de tissages et tapisseries du musées, telles les magnifiques œuvres de Sonia Delaunay ou encore les nombreuses commandes publiques de tapisseries présentes dans les collections suédoises.

On l’aura compris, le succès de cette production repose pour beaucoup sur la complicité créative entre Charlotte von Poehl et Laura Miles, née d’un dialogue fluide et intelligent. L’artiste n’écarte d’ailleurs pas l’idée d’une nouvelle collaboration avec Woven Studio à l’avenir. Ce tissage de damier en jacquard constitue une œuvre charnière dans le travail de l’artiste, et ouvre certainement de nouvelles pistes de développement dans son travail.